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LES HUIT PETITES MARCHANDES DU BOULEVARD

dit qu’tout s’était honnêtement passé entre vous deux. — Comment donc, honnêtement ! mais encore pûs qu’honnêtement. I’faudrait avoir vu comme ça s’est passé, pou’l’savoir !

Le comte sourit, en serrant la main de Mignonne.

III. LA PETITE ÉVENTAILLISTE


Ha ben donc, si c’est là tout (s’écria une des plus jolies compagnes de Suzon), j’ai ben une autre histoire que ça à vous conter ! c’est moi qui a été attrapée, mais attrapée comme on n’l’est pas, par un stratagème dont on n’se s’rait jamais défié, vous savez ben !

Il y a deux ans, quand j’commençais à vendre des évantayes, j’voyais toujours derrière moi un monsieu’ d’un certain age, qui m’disait : — La jolie taille ? qu’elle est ben faite ! qu’elle est jolie ! moi, j’me r’tourna à la fin, et j’le r’garda de mauvaise humeur, à cause qu’ça m’impatientait. Et v’là qu’au bout de queuq’temps, je n’le r’vis pus. Mais en place, i’m’vint une grande vieille dame, qui m’achetait toujours quèq’ chose, qui m’faisait mette à côté d’elle au café, et qui m’payait c’que j’voulais, en bavaroises, ou aute chose Et v’là que quand nous furent ben connaissances, à ç’que j’croyais, moi, qu’a’m’dit : — Mais, mon enfant, ton commerce ne te rapporte guère ! je veux prendre soin d’toi ; je veux t’aider. — Tiens, voilà six francs. Comment es-tu logée ? — Dans la rue Saintonge, chez la crémière, dans un trou au premier su’l’derrière, où c’qu’on n’voit pas clair à midi. Ha ! ma pauvre enfant ! je veux te mettre mieux qu’ça ! je t’logerai chez moi, gratis ; tu auras une jolie chambre, à côté d’la mienne. Quitte ton trou dès aujourd’hui, je n’saurais souffris que ma petite amie soit si mal. Je remercia la bonne dame, et fus ben contente. — Tu es sage ( qu’elle continua), je le sais : c’est ce qui me donne de l’estime pour toi : viens, tu mangeras avec moi,