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LA JOLIE VIELLEUSE

d’eux imaginant que son rival était exclusivement favorisé. J’avais quatorze ans et demi lors de la catastrophe sanglante qui me priva de mon ainée. Je commençais à me bien mettre, et j’étais à peu près telle que vous me voyez : souvent on me prenait pour ma sœur, à qui je ressemblais, et souvent j’entendais dire : — Mais je ne croyais pas Marguerite si bien ! elle est adorable ! quelle fraîcheur ! Sûrement elle est sage ; une libertine n’aurait pas ce teint-là……… Un jour, que j’étais chez un traiteur, à côté du Café d’Alexandre, il y avait un monsieur, qu’à sa décoration je reconnus pour un homme de qualité. Il me regarda et dit à la femme du traiteur : — N’est-ce pas là Margarita ? — Oui, monsieur, dit cette femme, afin de m’obliger et de me faire jouir de la réputation de ma sœur. M. de Saint l** me fit signe d’approcher. — Tu es charmante ! me dit-il, en me portant la main sous le menton. Je me retirai en rougissant. — Comment donc, petite ! tu rougis ! on te dit si aguerrie ! — Je ne sais, monsieur, lui répondis-je, qui dit cela ; mais bien sûr ce n’est pas la vérité. Elle a de l’esprit, de la décence ! s’écria-t-il ; mais avec tant de jeunesse, il ne se peut pas…… Champagne, est-ce là Margarita ? — Eh non, monsieur le comte ! — J’en suis charmé. Mais d’où vient mentir, ma mignonne ? — Je suis Margarita aussi, monsieur le comte, mais je suis la cadette ; l’autre, à qui je ressemble beaucoup, est ma sœur aînée ; notre nom à toutes deux est Margarita ; mais pour nous différen cier, on me nomme Perle. — C’est différent ! Puis-je voir ta sœur ? Elle est ici à côté, monsieur le comte. — Champagne ? dit-il à son laquais, va la prier de venir…… Approchez, charmante Perle ! c’est pour votre sœur que je suis entré ici ; mais c’est pour vous que j’y resterai. Voulez-vous me jouer une contredanse ? Je me mis aussitôt à préluder, et je jouai de mon mieux la Furstemberg. — C’est bien, me dit-il : voyons du plus nouveau ? Je lui donnai la contredanse de l’Écu, ou la Fricassée, qui l’enchanta. Ma sœur survint à l’instant où j’achevais cette dernière. Comme elle