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LES HUIT PETITES MARCHANDES DU BOULEVARD

larme à l’ail) ! je serais peut-être un jour votre femme ! car je vous aime de tout mon cœur ; je ne vous l’ai jamais dit, mais je le fais aujourd’hui, devant mes bonnes amies, et devant leurs honnêtes amoureux, afin que vous le sachiez, et eux aussi. Je ne veux point de parti ; conservez-moi vos bontés ; je serai pour vous tout ce qu’il vous plaira ; je n’en fais pas la fine ; et quoique je sois sage, oui, je serai tout pour vous : mais vous êtes le seul homme qui le soyez, et qui le serez jamais pour moi.

À ce discours, toutes ses amies, qui n’étaient pas des Lucrèces, se levèrent pour l’embrasser. — Oui, oui, tu f’ras ben d’aimer un si honnête homme. — Le comte remercia Mignonne, en l’assurant qu’il n’abuserait pas de sa prévention pour lui.

La bonne chère, le vin, la présence de leurs galants, avaient mis le cœur sur la main à toutes ces filles. Le comte, curieux de savoir leurs aventures, vit que c’était là le moment de les faire parler ; il leur proposa de raconter leurs histoires, pour l’édification de Mignonne, qui sans doute y trouverait à profiter. — Ha ! je l’crois (dit l’épinglière) : all’y verra comment est-ce qu’i’faut s’conduire, quand un brave homme vous aime, et qu’il a des bontés pour nous. Et pour vous prouver ça, c’est que je m’en vas c’mencer, moi, à vous faire ma’p’tite confidence, qui s’ra drôlette ; car telle qu’vous m’voyez, j’ai queûqu’un qui m’aime fort et qui en’agit ben avec moi, comme vous allez voir… Le cœur su’ la main, en cette bonne compagnie d’amies ! je n’cacherai rien.

II. LA PETITE ÉPINGLIÈRE


— J’sis assés gentille ; ça parle tout seul, ignia qu’a m’voir : Tout en vendant des épingues d’sus l’boul’vard, i’s’trouva qu’un jour un monsieu’ben joli m’dit comme ça : — La jolie marchande, n’vous nommez vous pas la jolie Suzette du boul’vard ? — Oui dà, mon