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LES HUIT PETITES MARCHANDES DU BOULEVARD

toutes les autres. La chose fut donc résolue unanimement en apparence.

Mais, dans les basses conditions, le remords est plus fréquent que dans les hautes, et parmi ce qu’on nomme les honnêtes gens : c’est que ceux-ci font le mal avec leur esprit autant qu’avec leur cœur ; au lieu que le cœur seul est gâté parmi les gens du commun ; ils font le mal par boutade, par goût, par instinct ; mais le raisonnement ne vient jamais changer le mal en bien dans leur esprit ; tout ce qui peut arriver de pis, c’est qu’à force de calomnier, ils parviennent à ne croire que médire. Heureusement pour Mignonne, que sept de ses jalouses, les plus jeunes et les plus jolies, à l’instant où les vieilles et les harpies eurent fait passer la résolution de la battre, et même de lui déchirer le visage, sept, dis-je, eurent horreur d’une pareille action.

Elles n’osèrent cependant pas le témoigner : mais, comme de concert, elles se retirèrent les premières, et se réunirent à quelque distance. — Je crois qu’on veut nous faire faire une vilaine chose (dit une petite épinglière) : Mignonne ne nous a jamais rien fait de mal, au contraire. — Ni à moi, que je sache (dit une petite éventailliste). — C’est une bonne fille (dit une jolie bouquetière). — Je le crois de même (dit une petite vendeuse de bonnets montés). — Pour moi, si j’en veux à quelqu’un, ce n’est pas à elle, mais plutôt à celle qui veut la faire battre, qui est une gueuse. Elle vend comme moi de la pommade, des savonnettes, de la poudre, des odeurs et des cure-dents ; mais ce n’est pas la jalousie qui me fait parler : Mignonne vaut cent millions de fois mieux qu’elle : Mignonne est une honnête fille ; l’autre a raccroché ; et si elle ne raccroche plus, c’est qu’elle est trop laide. — J’vous assure, mes amies (dit une jolie gaufrière), que Mignonne est une très honnête fiye, et qu’a n’ couche avec personne : je loge tout à côté d’elle, et j’en sis ben sûre. Une jolie fruitière se hâta de prendre la parole : Faut pourtant dire qu’all’ est un p’tit peu coquette : mais qu’est-c’qu’ça nous fait ? A’n’ nous prendra pas nos amou-