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LES HUIT PETITES MARCHANDES DU BOULEVARD

mouchoirs, des bas, des mousselines, et jusqu’à de la dentelle. Ces derniers n’y entrèrent cependant qu’avec répugnance : la petite marchande (que sa figure et sa stature faisaient appeler Mignonne), était obligeante à leur égard ; lorsqu’elle avait vendu ses marchandises, elle allait à eux, et les débarrassait des leurs, sans presque rien garder pour elle du profit. Il n’en fut pas moins décidé par le conseil des jalouses qu’on ferait passer Mignonne pour une fille de mauvaise vie, et qu’après l’avoir décriée, on l’attendrait un soir à l’entrée de la rue Charlot, pour la rosser de façon qu’elle n’osât plus revenir au boulevard.

Les jalouses commencèrent par exécuter leur projet de diffamation : elles montrèrent Mignonne au doigt ; elles dirent qu’elle avait couché avec deux hommes à la fois ; qu’elle était corrompue. Les juifs appuyaient ses calomnies, et elle commençait à perdre dans l’esprit de tout le monde qui vient ordinairement aux beaux cafés du boulevard ; il n’y eut que le comte de… petit homme, que la nature semblait avoir proportionné à Mignonne, qui ne changea point pour elle et qui soutint constamment son honnêteté. Mais les ja louses l’ayant appris, elles débitèrent tout bas que le comte était un de ses amants ; qu’elle le trompait, et qu’il avait la bonté de croire qu’il était le seul. Le comte ignorait ces discours, et qu’on assurait qu’il allait coucher deux fois par semaine avec Mignonne.

Lorsque la diffamation fut au degré où les jalouses le voulaient ; qu’elles s’aperçurent que les dames surtout regardaient avec mépris la jolie petite mercière, elles présumèrent qu’il était temps de frapper le dernier coup, en la battant. Personne ne prendra son parti, pensèrent-elles ; quand on saurait que c’est nous on croira que c’est que nous ne voulons pas qu’une libertine vienne se mêler dans notre compagnie. — Et ça est ! (s’écria une pie-grièche parfumeuse, autrefois fille du monde) : croyez-vous qu’all’ s’rait comme all’ est si alle était sage ? Ha ! mon Dieu ! nous ne disons rien que de vrai ! — Alle a raison ! s’écrièrent