HISTOIRE DE LA JOLIE VIELLEUSE
« Je suis de la ville même de Barcelonnette, et je vins à Paris à l’âge de onze ans, avec ma mère, et ma sœur aînée, qui a eu quelque réputation de beauté. Elle se nommait comme moi, Marguerite, ou Margarita ; mais pour ne pas nous confondre, elle garda son nom, et on le traduisit, pour moi, par celui de Perle, que je porte. À notre arrivée, nous nous logeâmes au faubourg Saint-Marceau, comme tous nos compatriotes, et de là, nous allions au Boulevard jouer de la vielle. On ne faisait pas beaucoup d’attention à moi, à cause de ma jeunesse et de la grossièreté de mes habits ; mais ma sœur, qui était grande et bien mise, fut remarquée ; elle fit une sorte de sensation : les jeunes gens et même les vieillards s’empressèrent à la courtiser ; on la nommait la belle Vielleuse, et c’était à qui tâcherait de la séduire. Il ne me conviendrait pas de mal parler de mon sang : jamais ma sœur ne s’est oubliée devant moi, au point de souffrir les mêmes libertés que la plupart de mes camarades : au contraire, je lui ai vu plus d’une fois appliquer des soufflets aux téméraires, et se retirer sans attendre son payement. Je sais qu’on a dit à son sujet des choses tout opposées : mais je dois cet hommage à la vérité que je connais. Sa réputation se répandit jusque dans les provinces, et c’est elle qui est l’héroïne de la chanson,
J’ons-été su’l’boul’vert
Et jous-vu Marguerite, etc.
» C’est à cette réputation, qu’elle a cruellement payée ! que je dois ce je suis, comme vous allez le voir par la suite de mon récit.
» Mon infortunée sœur avait des amants ; et une preuve qu’elle ne les rendait pas heureux, comme on l’a dit, c’est qu’ils étaient jaloux à la fureur, chacun