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LES ÉPOUSES PAR QUARTIER

lier. Ils entrèrent dans l’appartement de la dame, dont le boudoir n’était sé paré du cabinet du mari que par une cloison. M. Oui s’y renferma.

— J’ai fait réflexion à ce que vous m’avez dit, madame : mais il est nécessaire de prendre des précautions ! si cet homme est bigame, il faut découvrir adroitement si vous êtes la première ou la seconde femme ; dans le premier cas, éclater ; les tribunaux seront pour vous ; dans le second, vous taire, et faire votre main. — C’est ce que je saurai dès demain. — On dit que c’est la fille d’un bourrelier du faubourg Saint-Germain, et par conséquent une grisette, comme vous voyez. Ce qui me fait rire, c’est le nom de M. Oui, qu’il s’est donné avec moi, tandis qu’on m’assure qu’il se nomme M. de Saintornant, qui est un très beau nom que je me propose de prendre… C’est apparemment une petite fille dont il sera devenu amou reux après notre mariage ? — Je le pense comme vous, madame : cependant agissez avec prudence. En ache vant ces mots, le conseiller prudent hasarda quelques libertés, et on lui dit, avec beaucoup de bonté, qu’il se pressait trop. On servit, les deux amants soupèrent tête-à-tête : et comme M. Oui, pour sa commodité, avait ménagé une ouverture secrète dans la cloison, propre à passer un homme, précisément à la ruelle du lit, il se glissa jusque auprès d’une petite table, où les amants débarrassaient eux-mêmes les mets dont ils avaient mangé ; il y prit ce qu’il voulut, emporta une bouteille de vin, choisit les plus beaux fruits, et se re tira heureusement chez lui, où il soupa. Au sortir de table, les deux amants se disposèrent à se mettre au lit. Ils y furent en peu de minutes : le galant voulait laisser les lumières ; la belle n’en permit qu’une. Au premier instant où la jalousie de M. Oui fut sérieusement intéressée, il entra dans la chambre par sa portière, alla prendre la lumière, et s’approcha du lit le pistolet à la main. Annette poussa un cri perçant ! Le galant, qui n’était pas en état de défense, demanda la vie. — Je te la donne : habille-toi et sors. Si tu fais un