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LES ÉPOUSES PAR QUARTIER

mentanée. En attendant qu’il trouvât un prétexte tel quel, il songea qu’un déguisement serait un moyen de sûreté. En conséquence, il changea entièrement sa façon de se mettre, et lorsqu’il était hors de la maison, il se couvrait le visage d’un emplâtre qui le défigurait. Mais cela ne parait pas aux autres difficultés, et ne lui donnait pas la liberté de vaquer à certaines affaires qui demandaient sa présence.

Tandis qu’il était dans cet embarras, déjà si grand, il revit la quatrième beauté qui lui avait plu. Il venait de sa demeure au Trône, et il allait à la Grève, un soir d’hiver, sur les sept heures, quand il aperçut la jolie gaînière au comptoir occupée à vendre des ouvrages de la profession de son père. L’impression qu’elle avait déjà faite sur lui se renouvela vivement. — Elle est la mieux des quatre (pensa-t-il) ; les beaux cheveux ! quel charmant sourire ! la jolie bouche ! les beaux yeux ! Il regretta vivement en ce moment de n’être pas en Turquie : — J’épouserais encore celle-ci ; je réunirais mes quatre femmes dans une même maison ; je serais au milieu d’elles comme un sultan, ou du moins, si j’étais forcé d’avoir une maison particulière pour chacune, je n’aurais pas à craindre les lois ! Empressées à me plaire par la rivalité, elles en seraient et plus tendres et plus soumises : au lieu que dans nos mœurs, les femmes sont hautaines, impérieuses, acariâtres, etc. Les miennes, dont j’ai fait la fortune, sont douces encore, parce qu’elles n’ont pas eu le temps de prendre un ton : mais cela viendra bientôt, et si, dès aujourd’hui, elles connaissaient ma conduite, ne les verrais-je pas se réunir toutes trois contre moi, comme des furies !… Au reste, après ce que j’ai déjà fait, que risqué-je de me satisfaire entièrement ? En achevant će monologue, le trigame entra dans la boutique du gaînier, où il se mit à marchander différents ouvrages : il se donna pour un riche fabricant de couteaux et de lames d’épées, dont la manufacture était à Langres. On entra en pourparler d’une emplette considérable de gaînes et de fourreaux, pour faire un envoi dans les