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LES ÉPOUSES PAR QUARTIER

parler du mérite de mademoiselle votre fille avec éloge, par des personnes sûres, que je ne vous nommerai pas : je m’en suis assuré par moi-même, et mes yeux ont vu combien elle est aimable : je me présente pour vous la demander en mariage ; j’ai quinze mille livres de rentes ; je suis assez riche pour elle et pour moi ; je ne vous demande pas de dot ; toutce que je désire, c’est que le mariage se fasse sans éclat, à cause de ma famille, qui est puissante, et que je ne voudrais pas désobliger. Le balancier prit quelques jours pour les informations au sujet de M. Oui, riche bourgeois de la rue Charenton. Or comme ce M. Oui avait commencé par faire quelques aumônes, et à rendre différents services à ses voisins, tout le monde chanta ses louanges, et le balancier se trouva le plus heureux des hommes de lui donner sa fille. Le mariage se fit de grand matin, et madame Oui, au retour de l’église, monta en voiture avec son père, sa mère, et deux voisins seulement, pour se rendre chez son mari, où l’on passa la journée fort agréablement ! mais sans qu’il y eût de danses.

M. Oui se voyant possesseur de l’aimable blonde, se trouva des sensations nouvelles : tous les jours sa séduisante Annette lui paraissait plus adorable. Il aimait naturellement les blondes, aussi s’attacha-t-il plus fortement à la jolie balancière qu’à ses deux autres femmes, et son goût pour elle alla si loin qu’il en fut presque effrayé. Mais, au plus fort de sa passion, il sentit qu’il avait encore dans le cœur quelque chose pour les deux premières. D’un autre côté, ses embarras croissaient avec le nombre de ses femmes ; au lieu d’être un homme de jour, il était un homme de nuit, et il n’osait plus se montrer, même dans les quartiers les plus éloignés, de peur d’y rencontrer quelqu’un de connaissance.

Il chercha dans sa tête un moyen d’arranger son séjour à Paris, avec son absence relative à celles de ses femmes qu’il ne voyait pas : mais c’était une chose très difficile, et qui d’ailleurs ne pouvait être que mo-