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LA JOLIE VIELLEUSE

entrer sous un jour qui vous fit honneur. Seriez-vous disposée à m’accorder quelques heures, à votre choix, où vous voudrez, pour me concerter avec vous : il vaut mieux que vous m’instruisiez vous-même, que de me mettre dans la nécessité de recourir à d’autres, qui seront mal instruits, ou mal intentionnés. » La jolie vielleuse avait pris un air souriant pendant que je lui parlais. À présent, me dit-elle, que je vois bien que ce n’est pas l’insultant motif que je supposais qui vous a fait m’aborder, je vais vous parler comme si vous étiez un frère au lieu d’un inconnu. Votre proposition me flatte. Il y a longtemps que je cherche à ouvrir mon cœur à quelqu’un qui désabuse le public sur mon compte ; il est dur, il est cruel de passer pour avoir des mœurs au moins suspectes, tandis qu’on mène une conduite où il n’y a rien à reprendre. Loin de me refuser au rendez-vous que vous me demandez, c’est moi qui vous en prie. Nous voici à ma demeure ; mais ce n’est pas l’instant qu’il faut prendre : venez après-demain, à neuf heures de la matinée ; nous causerons. Elle me montra ensuite au portier, auquel elle parla en maîtresse, en lui ordonnant de m’introduire, sans siffler, le surlendemain, à telle heure du matin que je me présentasse.

J’allai chez la jolie Vielleuse (continue celui dont je tiens la Nouvelle), comme nous en étions convenus. Après les préliminaires d’usage, elle prit la parole en ces termes[1] :

  1. Il fallait prévenir l’honorable lecteur sur la manière dont j’ai eu cette Nouvelle (ainsi que beaucoup d’autres, quoi qu’en disent certaines gens, qui ne me connaissent pas, et me dénigrent ; car tous ceux qui me connaissent m’estiment) ; afin d’exciter et de nourrir la confiance sur les détails qu’elle renferme : le style que j’emploie dans tous ces récits, est si bien celui de la vérité, que je me fais une loi de conserver les expressions de mes narrateurs, autant qu’une mémoire assez bonne, dont la nature m’a doué, est fidèle à me les représenter.