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LES ÉPOUSES PAR QUARTIER

désigna. Madame de Saintornant en fut très affligée : mais enfin ses parents lui firent entendre qu’un homme riche comme son mari, avait des affaires bien autrement importantes que les gens de leur classe. Elle se rendit, en disant néanmoins à son époux : Je vous aimerais mieux avec moins de richesses, puisqu’elles vous forcent à me quitter ! Ce tendre langage émut de Saintornant ; mais, la veille, il avait revu à l’écart sa première femme : elle était charmante, et il la réadorait : il ne voulut pas différer. Après les plus tendres adieux de la part de Suzanne, il partit en poste, s’arrêta le soir de la première journée, revint à Paris la nuit même, et le lendemain sur les huit heures arriva chez madame de Valenclos, qui le reçut avec transport.

Mais le bonheur du volage, à cette reprise, fut plus court encore que la première fois : quinze jours lui rendirent la tiédeur, quoique sa femme n’eût qu’un défaut, et qu’il l’eût vivement redésirée : ce fut simplement un effet de la satiété. Cependant son goût n’étant pas encore revenu pour sa seconde femme, il flottait dans une sorte d’indifférence pour toutes deux. Il pensa qu’il n’avait pas été assez longtemps absent, et que six mois, au lieu de trois, lui eussent peut-être donné assez de ressort pour aimer sa femme un mois entier. Tandis qu’il était dans ces idées, un soir qu’il se promenait déguisé dans les rues de Paris, précaution qu’il prenait depuis sa bigamie, le hasard le conduisit devant la porte de la jolie balancière. Cette vue ranima ses feux amortis : il sentit, ou crut sentir, que c’était celle-là qui l’eût rendu parfaitement heureux. — J’ai fait deux folies, au lieu d’une (se dit-il en lui même) : mes deux femmes ensemble ne valent pas cette jolie personne. Il demanda son nom, qu’il ne savait pas encore, en s’adressant à un señor Capatero. — Cette jolie balancière d’ici près (dit le Savetier) ? Oui. Est-ce que vous voulez lui donner un bouquet ? — Oui. — Elle le mérite bien, dà ! — Oui. Vous serez marié, car vous dites toujours oui. — Oui.