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LES ÉPOUSES PAR QUARTIER

goût de la compagnie, lorsque le jour tomba, il en succéda un autre : la salle où l’Ambigu-Comique avait joué, se trouva préparée pour le bal, que les mariés engagèrent M. de Saintornant à ouvrir avec Suzanne. On dansa jusqu’à minuit, qu’on revint dans le jardin, où le souper était servi sous des toiles, dans la grande allée. La chère y fut délicate, et les mets les plus excitants y furent servis avec profusion. On tint la table jusqu’à cinq heures du matin, que tout le monde voulut se retirer, personne ne se trouvant en état de danser. Ce fut ainsi que se termina la noce, qui fit un honneur infini au bourrelier, parce qu’elle répandit dans toutes ces connaissances une idée avantageuse des richesses de son gendre futur.

Malgré le risque qu’il y avait à courir, de Saintornant était devenu si épris de la jolie bourrelière qu’il l’épousa, en se donnant quinze mille livres de rentes. Les fêtes de sa noce furent calquées sur celle où il avait assisté, et tout y fut encore plus magnifique.

Le voilà donc bigame. Il fut d’abord heureux, à quelques inquiétudes près, qui lui donnaient quelquefois d’assez mauvais moments. Il avait prétexte un voyage en prenant congé de la jolie vitrière, sa première femme, et lui écrivait régulièrement toutes les semaines, en datant et timbrant lui-même ses lettres de différentes villes. Quant aux réponses, il la priait de les envoyer par la petite poste à l’adresse d’un ami qu’il avait proche le Marché aux chevaux, lequel devait les lui faire parvenir. Cet ami était une nouvelle connaissance de Saintornant, qu’il avait prié de lui remettre toutes les lettres qui lui seraient adressées sous le nom de Valenclos.

Au bout du temps fixé pour son prétendu voyage, de Saintornant en désirait la fin : il se mourait d’envie de revoir madame de Valenclos, dont l’absence l’avait rendu de nouveau amoureux. Prêt à prendre son premier nom, et à se rendre auprès d’elle, il prévint sa nouvelle épouse d’un voyage nécessaire pour ses affaires dans un pays qu’il