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LES ÉPOUSES PAR QUARTIER

du matin. En route, il était tout de feu. Il trouva l’aimable Susanne en robe de petit taffetas ; elle allait à une noce. L’arrivée de M. Valenclos retarda le départ des parents de la belle. Après qu’il eut donné la liste des ouvrages qu’il avait à faire, il sentit qu’il ne pouvait se séparer de Susanne : il offrit d’être son paranymphe, et de la conduire. Le bourrelier accepta, et l’amant vit une journée délicieuse à passer. On monta tous quatre dans un remise, et on alla droit à la paroisse. De Valenclos s’empara de la jolie bourrelière, il lui donna la main, se mit à côté d’elle, et ne la quitta plus. Tout le monde remarqua son assiduité : il s’aperçut qu’elle blessait un peu le bourrelier et sa femme : il les prit en particulier, et les assura qu’il ne demandait pas mieux que d’être leur gendre. Les bonnes gens répandirent cette nouvelle dans l’assemblée, pour s’en faire honneur : ce fut une sorte d’engagement pour l’imprudent prometteur, qui, loin de reculer, chercha dans sa tête les moyens de réaliser ce qu’il avait promis. Comme, en allant à la noce, il n’avait pas voulu se faire connaître, il s’était donné le nom de Saintornant : il avait des fonds tout prêts ; il résolut d’acheter une jolie maison, située du côté du Marché aux chevaux, et de s’y établir sous son nouveau nom, d’épouser Susanne, et de s’arranger de façon, qu’en se supposant des affaires, il pût être absent un temps suffisant pour gouverner son autre maison du faubourg Saint-Denis. L’ivresse où le mit la noce, et les charmes qu’y déploya Susanne, un peu de retour dont elle paya sa tendresse, le confirmèrent dans son coupable dessein. Il sortit sur les cinq heures, pour aller chez le notaire qui avait l’adjudication ; il mit son enchère, sous son nouveau nom de Saintornant, et revint trouver sa belle.

Il entra sans bruit, et tâcha de la découvrir sans être aperçu. Elle était assise, seule, pensive, rêveuse, inquiète. Un jeune homme vint à côté d’elle, et voulut lui parler : elle se leva pour aller se placer ailleurs. Saintornant, enchanté, courut à elle, et la pria de lui pardonner une courte absence, qu’il n’avait pas voulu