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LES ÉPOUSES PAR QUARTIER

comme la voix. Il s’occupait à la former, et les soins qu’il lui donnait augmentèrent son penchant ; il était heureux enfin, lorsqu’un jour, qu’il était sorti pour ses affaires, il se trouva vis-à-vis la boutique de sa jolie bourrelière.

Elle en sortait justement, en petit déshabillé, son mantelet serré sur sa taille. — Susanne ( lui cria sa mère) ! tu oublies tes gants ! Et elle les lui donna. Le cœur battit à de Valenclos en revoyant le premier objet qui lui avait plu. « Qu’elle est charmante (pensa-t-il) ! Elle est mieux que ma femme !… J’ai mal fait : je me suis trop pressé ! » Il suivit la jolie bourrelière jusque chez un mercier, où elle allait faire une emplette. Il attendit qu’elle en sortit ; il ne pouvait se lasser de la voir. Il la suivit de nouveau, et, au bout d’une rue, il profita d’un embarras pour lui parler. — Monsieur votre père est bourrelier, ma charmante voisine (il employait exprès cette expression) ? — Oui, monsieur. Permettez-moi de vous y accompagner ; j’ai à lui parler. Vous me faites honneur, monsieur. — Une aussi charmante personne que vous en fait à tout le monde. On doit bientôt vous marier, sans doute ? — Je l’ignore, monsieur. — Je sais pourtant, moi, que vous avez un amant, qui vous adore. — Vous êtes plus instruit que moi, monsieur. — Vous ne connaissez personne, jolie comme vous êtes, qui vous fasse la cour ? — Personne, monsieur, qui se soit adressé à moi.

On arriva. M. de Valenclos parla au bourrelier d’ouvrages qu’il avait réellement à faire, et il le quitta en promettant de revenir le lendemain.

De retour chez lui, M. de Valenclos ne trouva plus à sa femme les mêmes charmes qu’auparavant : il éprouva du dégoût ; les caresses de cette charmante épouse lui devinrent à charge ; il ne fut occupé que de sa jolie bourrelière. Il ne dormit pas et fut agité toute la nuit ; et si, vers le matin, le sommeil appesantit sa paupière, ce fut pour lui montrer dans un songe, plus séduisant que la réalité même, sa belle brune souriant à sa tendresse. Il se rendit chez elle dès les huit heures