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LA JOLIE VIELLEUSE

grande fille, faite au tour, mise avec goût sous le costume de vielleuse. Sa grâce, sa figure intéressante et douce me frappèrent : je la regardais avec ce plaisir que donne toujours la beauté, lorsqu’elle entra dans une petite maison à porte cochère de la rue qui débouche devant le portail Saint-Eustache. Je demandai au portier de cette maison qui était cette fille ? — C’est ma maîtresse —, me dit-il. Ce mot m’en apprenait autant que je voulais en savoir. Je continuai mon chemin, et ne formai aucun projet : une fille de cette espèce, à qui je ne supposais que des aventures instantanées, ne me paraissait pas devoir me fournir le sujet d’une Nouvelle, propre à entrer dans les Contemporaines. À quelques jours de là, rue Saint-Honoré, près celle d’Orléans, je rencontrai de nouveau la jolie vielleuse. Enhardi par le genre de vie que je lui supposais, je l’abordai, mais de cet air honnête et décent que j’ai toujours pris avec les femmes, ces dispensatrices du seul genre de bonheur qui m’ait jamais tenté. Elle me regarda sans me répondre. J’insistai, en tâchant, par les louanges les plus vraies, de l’engager à me dire un mot, quel qu’il fût. J’obtins enfin ce que je désirais : « Je ne sais, me dit-elle, avec un accent vraiment enchanteur, quel motif vous porte à parler à une femme qui ne vous connaît pas : ce motif ne peut qu’être insultant pour moi. Jamais ! Jamais ! lui dis-je vivement, je n’ai insulté la beauté ! je l’honore jusque dans ces malheureuses que vous voyez la profaner. (Nous étions alors dans la rue d’Orléans, garnie de Filles, et la jolie vielleuse, dont la marche était la plus légère qu’on puisse imaginer, allait fort vite.) Un autre motif, mademoiselle, m’engage à vous adresser la parole ; c’est l’admiration de votre beauté, jointe à un mouvement de curiosité légitime. Si c’est vous, comme je n’en doute pas, qui soyez la jolie vielleuse, on vous prête bien des aventures, ou plutôt des traits qui sont au moins outrés. Je connais un homme qui s’occupe à faire un recueil des histoires des plus jolies femmes de l’âge présent : je désirerais vivement de vous y faire