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LA JOLIE FILLE DE BOUTIQUE

vulgaire, leur suggéra de les suivre. Ils pensaient que la carriole n’allait qu’à quelque petite maison, ou dans quelque jardin du voisinage. Ils se tinrent constamment à quelque deux cents pas, et suivirent cette charrette, l’âme toute entière dans les yeux. Ils ne doutėrent pas qu’ils ne dussent voir du mal ; mais ils en étaient avides, comme les femmes les plus évanouisseuses le sont des exécutions de la Grève, qui les font frémir, et qu’elles brûlent de voir. Au bout d’une lieue, ils commencèrent à s’ennuyer : mais ils étaient venus trop loin pour retourner ; ils marchérent encore une lieue, qui leur parut très longue ! la troisième les mit aux abois : heureusement la charrette s’arrêta, et les deux cafards eurent le temps de se rafraichir. Ils s’informèrent où allait la carriole : on leur dit que c’était celle de M. Gaudeamus, qui avait une maison de cam pagne à Fontenay. Ils furent désolés de cette réponse, qui ne leur promettait plus le plaisir de se scandaliser ; car ils conjecturèrent que M. Gaudeamus était un ami de M. Mignonquinlote, qui envoyait sa carriole le chercher avec sa fille de boutique, pour leur faire passer les fêtes à la campagne. Ils étaient prêts à s’en revenir, lorsque le plus rusé des deux dit à l’autre : « Nous n’avons plus qu’une lieue à faire ; ne nous décourageons pas : quelque chose me dit qu’il y a un mystère : d’où vient la carriole de M. Gaudeamus ? n’est-elle pas venue jusqu’à la porte de M. Mignonquinlote ? — C’est, répondit l’autre, qu’il ne s’est pas soucié qu’on l’y vit monter avec sa fille de boutique. — À la bonne heure. Voyons, néanmoins : il y a quelque chose là-dessous ; mon bon ange me le dit ; il ne me trompe jamais. Nous aurons du moins la satisfaction d’applaudir à la pureté de la conduite de notre libraire (ici le camarade fit une grimace, qui signifiait, le triste plaisir ! ) sur laquelle j’ai depuis longtemps des soupçons, à cause des maladies annuelles de la fille de boutique. — Il est vrai, s’écria l’autre (en reprenant sa gaieté) ; vous m’y faites penser ! et je crains fort que Dieu ne soit offensé ici plus qu’on ne croirait ! Il faut savoir au juste chez quelles gens va