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LA JOLIE FILLE DE BOUTIQUE

Félicité y consentit ; mais elle n’avait pas encore l’assurance d’une femme, et elle rougissait par réflexion toutes les fois qu’il lui échappait de parler en épouse : cependant cette manière d’hésiter lui allait, même à d’autres yeux que ceux de Mignonquinlote. Elle eut soin de rendre sa mise un peu plus distinguée ; son mari de conscience le lui avait recommandé ; elle s’était parée de ce qu’elle avait de mieux, et les ouvrières furent averties le même jour, afin de monter sa garde-robe, comme il convenait à la compagne de la couche de M. Mignonquinlote.

Les choses ainsi réglées entre le libraire et sa fille de boutique, ils vécurent longtemps dans une union parfaite : car les dévots ne sont pas inconstants en amour, et c’est la seule qualité qui souvent compense en eux mille défauts : quelquefois aussi leur constance est un vice ; quand ils haïssent, par exemple ; car ils ne pardonnent jamais. Cependant la tendre union des deux clandestins époux ne fut pas sans quelque scandale ; on en jasait dans le quartier, et le ministre des bonnes mæurs autant que de la religion, le curé, vint rendre visite à Mignonquinlote. Celui-ci, du ton de la vérité, l’assura qu’il ne se passait, entre sa fille de boutique et lui, que ce qui devait se passer. Il le pria d’examiner la conduite de cette fille, sa modestie, etc. Le pasteur ne put disconvenir que Félicité ne fût exemplaire ; et il exhorta ces deux bonnes âmes à souffrir patiemment la calomnie en leur disant : Vous serez heureur lorsque les hommes diront du mal de vous, qu’ils vous calomnieront et vous accableront d’injures… Depuis ce moment, ce fut lui-même qui ferma la bouche aux médisants, et qui rendit un excellent témoignage du libraire à toutes ses dévotes pratiques.

La jolie Félicité ne jouit cependant pas toujours d’une égale santé : sept fois en sept années, elle parut acquérir de l’embonpoint, et sept fois elle parut le perdre ; une pâleur plus ou moins grande, qui durait plus ou moins longtemps, suivait cet embonpoint passager ; ensuite elle redevenait aussi jolie qu’aupara-