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LA JOLIE FILLE DE BOUTIQUE

Oui, je la prends pour légitime épouse. Ensuite il dit : Félicité Règneauciel, prenez-vous pour mari et légitime époux Augustin, etc. Mignonquinlote ici présent ? Oui, Monsieur, répondit la naïve Félicité. Que Dieu nous bénisse, et notre mariage, poursuivit l’amoureux libraire, sans se douter le moins du monde qu’il y eût de la profanation dans sa démarche ; au contraire, comme il sentait, au fond de son âme, qu’il avait une tentation violente, il tâchait d’écarter le crime, et croyait y réussir ; il faut au moins lui tenir compte de l’intention ; il n’était ni séducteur, ni même hypocrite : mais il avait tenté Dieu, en s’exposant à l’effet des charmes d’une jolie fille de boutique, en lui donnant des parures mondaines, qui étaient comme de l’huile jetée dans le feu, et il en est puni.

Après la cérémonie, Mignonquinlote ramena Félicité dans sa chambre, en lui disant : « Nous voilà véritablement époux, à la confirmation près, que nous sommes dans la ferme résolution d’obtenir le plus tôt possible : si par hasard la tentation devenait trop forte, nous serions du moins en sûreté du côté de la conscience ; ce qui serait une grande consolation pour nous ! » Félicité trouva ce raisonnement très bon. Mignon quinlote lui souhaita le bonsoir, et elle se mit au lit.

Elle y était à peine que la tentation qu’éprouvait Mignonquinlote se trouva au-dessus de ses forces : il vint gratter à la porte : « Ma chère femme, lui cria-t-il, je n’y puis résister ; je brûle ; nous sommes mariés, ouvre ; peut-être me calmerai-je auprès de toi ! Félicité vint ouvrir ; Mignonquinlote lui saisit la main, et la conduisit au lit où il se mit avec elle.

Un voile épais couvre les mystères de l’amour, il ne faut jamais avoir la témérité de le soulever.

Le lendemain, Félicité parut dans la boutique, le visage coloré d’une modeste rougeur ; elle en était cent fois plus belle, et tous les dévots furent enchantés de son air angélique. Son maître, en se levant, l’avait priée de se regarder comme la maîtresse, de donner ses ordres, et de gouverner la maison en conséquence :