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LA JOLIE FILLE DE BOUTIQUE

De retour chez lui, la mise de Félicité lui rendit sa fille de boutique plus chère ; il prit avec elle les manières polies qu’on a pour une femme aimable ; elle eut le haut bout, elle fut servie la première : le tendre sentiment, qui était la source de ces égards, s’augmentait par eux ; ils lui servaient d’aliment. Félicité, traitée avec respect, prit cette mignardise aimable qui affermit les droits de la beauté, dont elle double le charme, et Mignonquinlote enchanté, ravi, attendit impatiemment la fin du souper.

Lorsqu’on eut desservi, l’idolâtre qui était resté en extase devant l’ouvrage de ses mains, tomba aux genoux de Félicité. La belle, surprise de son action, ne sut d’abord qu’en penser : mais enfin, elle sourit. — Que vous êtes belle ! lui dit l’amoureux libraire ; oui, j’adore en vous la parfaite image de la Divinité ! Permettez, belle personne, que je baise humblement la poussière de vos pieds. Une main blanche comme les lis, douce, potelée, se hâta de relever l’humble adorateur. — Votre action est édifiante, lui dit Félicité ; elle me pénètre d’estime et de vénération pour vous qui êtes mon maître, et qui cependant paraissez l’oublier ! — Je ne le suis plus ! s’écria Mignonquinlote : Je vois en vous ce que le Ciel a formé de plus parfait ! Adorable Félicité ! vous régnez sur mon cœur à jamais ! En même temps il l’embrassa. Félicité se dégagea doucement de ses bras amoureux, en lui disant : « Modérez-vous, mon cher maître : je vous aime tendrement, mais comme un père ; daignez m’en servir : soyez pour moi un protecteur, un guide sage ; je répondrai à vos bontés par la plus respectueuse reconnaissance. »

Félicité (on doit en prévenir) ne mettait aucune finesse dans ses réponses ; elle était aussi naïve que vertueuse, et aussi vertueuse que belle : cette charmante créature, orpheline depuis longtemps, en butte aux rebuffades, chez une brocheuse, avant que d’entrer chez le libraire, se trouvait si heureuse depuis qu’elle y était, que son bon cœur éprouvait la plus vive gra-