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LA JOLIE FILLE DE BOUTIQUE

— Mais j’ai besoin de quelqu’un à ma boutique. — Prenez un garçon. — Pour mon ménage ? — Prenez une gouvernante, mais d’un âge canonique.

Le libraire, qui s’appelait, je crois, Mignonquinlote (nom assez bizarre), trouva ce dernier conseil excellent ! Il s’informa quel était l’âge canonique des gouvernantes des laïques, dans un commerce quelconque ; et un casuiste un peu relâché lui dit que c’était de puis seize jusqu’à vingt-six ou trente ans : Parce qu’il faut (dit le docteur), dans toute boutique, fût-ce l’étal d’un boucher, une agréable figure, pour attirer les chalands. En homme sage, tel qu’il était, Augustin-Nolentin-Valentin-Justin-Potin-Faustin-Martin Mignonquinlote prit un juste milieu ; il choisit une gouvernante canonique de la plus charmante physionomie, âgée de vingt ans moins deux mois, brune, mais d’une blancheur éblouissante, gracieuse, douce, prude, mijaurée, sainte nitouche ; en un mot, ayant toutes les qualités et tous les défauts qui conviennent dans la maison de ceux que leur secte nomme les Honnêtes gens.

Cette charmante fille de boutique avait un nom de prédestinée ; elle se nommait Félicité Règneauciel. Une mise modeste, mais qui sentait l’aisance, couvrait moelleusement ses jeunes appas ; c’était du brun : mais la plus mondaine des filles de mode, qui aurait voulu tout subjuguer, n’aurait pas choisi une autre couleur, si elle avait eu le teint et le genre de beauté de Félicité ; sa modestie était un million de fois plus provocante que toute la coquetterie des fringantes beautés du Palais-Royal ; elle avait toujours une coiffe noire, mais c’était un moyen de faire ressortir davantage la blancheur de son teint, etc. Tous les cafards qui fréquentaient communément la boutique de Mignonquinlote virent Félicité avec indulgence : dans les commencements surtout, elle adoucissait le feu de ses beaux yeux noirs, en les voilant par deux longues paupières ; ce qui faisait que les regards pénétrants de la gent benoîte des tartufes, avait un temps suffisant