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LA PERFIDE HORLOGÈRE

attaqua ceux que les devoirs de la religion approchaient d’elles, et elle n’obtint que trop aisément un coupable succès. Le double scandale que donnait sa conduite la fit bientôt connaître : les supérieures la séquestrèrent : elle feignit de se repentir, et, forcée de se borner au second genre de libertinage, elle s’en facilita les moyens par la plus adroite hypocrisie.

Ce fut dans ces circonstances qu’elle perdit sa mère. Prête à rendre le dernier soupir, cette mère infortunée s’occupa des véritables intérêts de sa fille, par une substitution générale de ses biens : laissant néanmoins la liberté à un sieur Beaucousin, qu’elle lui donnait comme tuteur, de lever la substitution, afin de former un établissement plus avantageux à sa fille.

Aussitôt que madame Dorin eut fermé les yeux, Théodosie demanda instamment à sortir du couvent, pour venir demeurer chez son tuteur. Cet homme y consentit. Elle y fut à peine, qu’elle chercha d’abord à gagner sa confiance par une perfide douceur. Comme elle était de la plus jolie figure, elle y parvint avec quelque adresse. Dès qu’elle s’en aperçut, elle n’attendit pas qu’on lui tendit des pièges ; ce fut elle qui entreprit de faire tomber son tuteur dans le crime, et elle y réussit. Les bords de la coupe de l’iniquité sont ordinairement frottés de miel. Beaucousin se crut le plus heureux des hommes d’être aimé de sa pupille. Mais il ne se doutait pas, malgré son expérience, qu’elle ne l’avait amené là que pour le tyranniser et le rendre malheureux.

En effet, dès qu’il eut succombé, Théodosie changea de caractère : ce ne fut plus cette fille modeste et tendre ; mais une élourdie, une inconséquente, une dissipée ; elle ne goûta plus que les plaisirs bruyants ; surtout les bals nocturnes : elle excéda si fort le bonhomme, qu’il fut obligé de la laisser aller seule une partie du carnaval. Elle passa les nuits à danser : elle fit connaissance de ces petits-maîtres efféminés qui courent les bals, et elle en écouta autant qu’il s’en présenta. Elle se respecta si peu, croyant n’être jamais