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LA PETITE LAITIÈRE

comme il était accoutumé à être obéissant, il se déshabilla. Mais lorsqu’il fut presque nu, et à l’instant où Suzon venait de se mettre au lit, il s’approcha d’elle pour lui dire : — Elle va dormir avec vous, et j’en suis bien fâché ! mais songez à votre promesse, ce n’est pas elle qui sera votre mari. Que diable venez-vous nous conter ! (s’écria la vieille, tandis que Suzon éclatait de rire, et fut très longtemps sans pouvoir se calmer). — Je vois que c’est une plaisanterie, (dit la vieille Lanternier) ; allons, mes enfants, dormons. Bonsoir, monsieur ; tranquillisez-vous ; je suis femme, et je ne saurais être le mari d’une fille, tant jolie soit — Vous êtes femme, madame ! Ah ! tant mieux ! je vous avais crue un capucin. À ce mot Suzon pensa mourir de rire. Pour la vieille, qui n’y entendait rien, elle trouvait cela très singulier ! mais enfin elle se confirma dans sa première idée, que le jeune homme aimait à rire. On s’endormit enfin, et les deux jeunes gens ne s’éveillèrent qu’au grand jour.

Aussitôt que Suzon entendit une laitière, qui précédait toujours sa mère d’un quart d’heure, elle sauta hors du lit, s’habilla, et, sans prendre le temps de couvrir une gorge charmante, elle alla éveiller de Neuilli. — Vite, vite, levez-vous ! voici ma mère ! Le jeune homme sortit d’entre les draps un peu immodestement ; ce qui scandalisa la bonne Lanternier, qui lui dit que ça passait la plaisanterie. De Neuilli la regarda stupidement : elle crut qu’elle se moquait d’elle, et elle lui dit : — Fi ! le sale ! Le pauvre jeune homme ne savait où il en était : il regarda Suzon, qui, malgré sa rougeur, fut obligée de lui aller parler à l’oreille. — Ne vous fâchez pas contre lui, madame, dit Suzette : quand vous saurez tout, vous ne lui en voudrez pas.

Lorsque Suzette et son camarade furent habillés, ils descendirent au devant de la laitière : sa fille courut l’embrasser ; lui raconta tout ce qui s’était passé ; lui expliqua ce qu’était le jeune homme : comme il avait été élevé ; comme ils s’étaient vus ; comme ils s’étaient échappés : comme elle devait l’épouser, dès qu’il au-