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LA PETITE LAITIÈRE

— Jamais, jamais, monsieur (s’écria Suzon). Si c’était pour cela que vous me vouliez, il n’y avait qu’à le dire tout de suite, je ne vous aurais pas trompé. — Mais, ma fille, songez-vous qu’il n’y a aucun mal dans ce que je vous propose, et qu’il ne s’agit que d’être auprès de moi ? — N’importe, monsieur ; je ne trouve pas cela bien ; et je ne saurais y consentir. — Quoi ! pas même par l’espérance d’épouser mon neveu ? Monsieur votre neveu m’en voudrait un jour, de m’être conduite comme vous le demandez : d’ailleurs, monsieur, s’il faụt vous le dire, j’ai bien de la peine à croire que vous vouliez donner monsieur votre neveu à une pauvre laitière ! — Vous ne devez pas en être surprise, ma fille : ayant besoin d’une jeune personne pour ce que je vous ai dit, je sens que j’exige d’elle un sacrifice qu’il faut payer : qui vouliez-vous que je prisse ? une bourgeoise ? une fille de condition ? j’en serais rebuté : je ne pouvais m’adresser qu’à une pauvre fille, mais jolie comme vous. En vous voyant la première fois, j’ai dit : Voilà mon affaire. Je ne m’attendais pas à des difficultés ; car je suis si honnête homme, que c’est pour récompenser la fille qui prolongera mes jours, que j’élève mon neveu comme je le fais : j’en serai toujours le maître, et il en passera par ce que je voudrai : il reconnaîtra dignement ce qu’une jolie personne aura fait pour moi ; au lieu qu’élevé différemment, je n’en serais pas venu à bout. — Cherchez une autre personne, monsieur ; pour moi je me retire. — Attendez quelques jours : consultez demain votre mère, et déterminez-vous d’après ses avis. Suzon, après bien des difficultés, consentit enfin d’attendre sa mère. Il était tard ; on servit le souper, et le vieillard se mit à table avec la jolie laitière. On mangea encore dans son cabinet, et, au sortir de table, il mena Suzon dans la chambre de la coulisse, où il la laissa.

De Neuilli épiait toutes les démarches de son oncle : dès qu’il le vit de retour dans son cabinet, qui était aussi sa chambre à coucher, il revint à la coulisse, pour causer avec Suzon. Elle l’entendit ; et elle lui