Page:Restif de La Bretonne - Les Contemporaines, (Charpentier), tome 2, les Contemporaines du commun, 1884.djvu/114

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
104
LA PETITE LAITIÈRE

levé la coulisse. — Voyons ? Il leva la tapisserie, et vit que la coulisse n’était pas close jusqu’au bas. Il fit de vains efforts pour la faire descendre, et il prit le parti de la laisser : mais il envoya chercher un serrurier par son laquais : il fit raccommoder la coulisse, et on y mit un cadenas dont M. Desgrands prit la clef. Ce trait donna de l’humeur à Suzon, et ne la disposa pas à contenter le cafard. Cependant elle n’en témoigna rien.

La coulisse était si mince qu’on entendait tout ce qui se disait, de la prison grillée du jeune de Neuilli, dans la pièce où son oncle était resté avec la jolie laitière. Le jeune homme s’était éloigné en entendant raccommoder la coulisse ; mais il était revenu aussitôt après sur la pointe du pied. — Dites-moi si vous ne l’avez pas levée (disait le vieillard à Suzon) : j’ai des raisons pour le savoir. — Non, monsieur, je vous assure. Prenez garde ! je le saurai ! Si vous avez de la défiance, monsieur, il est inutile que je reste ici. Non, ma pouponne : mais si mon neveu vous avait vue, il fau drait que je le susse. — Je vous assure que je n’ai pas touché à votre coulisse pour l’ouvrir. Je vous crois. Montons là-haut dans mon cabinet. J’ai à vous parler.

Ils montèrent, et de Neuilli courut à sa porte condamnée. En entrant, il s’aperçut que Suzon se fâchait. — Je n’aime pas ces badinages-là, monsieur, et une autre fois, je ne monterai jamais la première. — Mon enfant, rassurez-vous ; c’est un mouvement involontaire, et je n’y entendais pas finesse… Ah çà, Suzon, vous êtes jolie : vous savez la promesse que je vous ai faite de vous donner mon neveu, si j’étais content de vous : je ne veux pas vous laisser dans le doute sur ce que j’attends de votre complaisance. Je vous aime : vous êtes jolie et neuve ; je n’aime que les filles de votre espèce ; des paysannes dont le sang est pur, et qui jouissent d’une santé ferme. Sans être infirme, les médecins m’ont ordonné, si je voulais vivre long temps, de faire la recette du bon roi David… Je vais vous expliquer cela. (Il lui parla tout bas à l’oreille).