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LA PETITE LAITIÈRE

avait intention de mettre chez lui sa fille, peut-être se fût-on ouvert davantage ; mais contre l’ordinaire des gens de sa sorte, elle fut discrète.

Les informations prises, la mère et la fille, après avoir vendu leur lait, entrèrent chez M. Desgrands, qui les reçut en cafard. Il prit un air modeste et capon devant la mère ; il fit ses propositions avec désintéressement et froideur ; il séduisit par là une femme et une fille simples ; elles acceptèrent. Il fut convenu que Suzon s’en retournerait avec sa mère après dîner, et qu’elle reviendrait le lendemain, pour être installée. Le cafard ne voulait pas qu’on le crût pressé, quoi qu’il brûlât d’envie de voir chez lui l’aimable Suzette.

Le lendemain, la jolie laitière arriva : son cri doux et presque harmonieux attira de Neuilli à sa fenêtre grillée. Il vit entrer Suzette dans la maison, et il courut, par un petit escalier particulier, à un troisième, qui donnait sur la cour, et qui était directement au-dessus de l’appartement de son oncle : ce fut de là qu’en s’allongeant comme il put, il vit la jolie laitière entrer chez M. Desgrands avec sa mère. Il aurait bien voulu entendre ce qui allait se dire : mais c’était l’impossible. Il descendit par son petit escalier, qui n’était que pour lui, et il alla préter l’oreille à une porte condamnée. Il entendit quelque chose, lorsque la mère parlait, parce qu’elle criait en conversant, comme les gens de village ; mais il ne put comprendre un mot de ce que dirent son oncle et Suzette. Il aurait encore bien voulu voir : mais il n’y avait pas la moindre ouverture. L’amour est le père de l’invention, même dans les esprits les plus bornés. De Neuilli pensa que c’était du bois que cette porte, et qu’il pouvait y faire un trou. Il n’avait pas d’instrument : il se servit de son couteau, qui heureusement était pointu, et, à force de le tourner, il lui donna l’effet d’une vrille. Il travaillait ainsi, tandis qu’on parlait, au risque d’être entendu : l’ouvrage avançait peu ; cependant il avançait. De Neuilli ne fit pas autre chose : il continua sans interruption jusqu’à l’heure du dîner. Son oncle avait alors quitté son cabinet, et il avait été