mensonge ! Fallait-il donc fuir ? Mais où, comment, avec quelles ressources ? Fallait-il me déclarer, affronter une mort cruelle ? Je ne sais si j’aurais eu ce courage, n’étant soutenu ni par l’ardeur philosophique de Brunus, ni par la haine où m’a semblé prendre son principal mobile, quelques années après, le malheureux Jules César un autre de mes confrères[1], ni par les plans de réformes dans l’État desquels un troisième dominicain, le père Campanella, a retiré vingt-sept ans de cachot et ses membres disloqués.
» Il arriva que je fus appelé à assister dans sa prison le supérieur d’un notable couvent de notre ordre, vieillard presque octogénaire qu’on avait longtemps soupçonné d’indifférence secrète plutôt que d’impiété formelle et, comme l’on dit, malicieuse. Il n’avait donc été signalé que faiblement à la congrégation du saint office, lorsque tout d’un coup ses proches ennemis, les gens de la cabale fanatique de son couvent, servis par le hasard d’une maladie et d’une syncope, surent s’emparer d’un manuscrit terrible, tout entier de sa main, qui le perdait irrémissiblement. Dans cet ouvrage, maintenant détruit, mais dont la lecture me fut permise, le père Antapire (c’était le nom d’auteur que le manuscrit portait, nom forgé selon le gout du temps), soutenait par une suite d’arguments fort serrés les propositions que voici :
1o Que le problème de l’origine des choses, ainsi que de leur cause, est insoluble non de fait seulement, mais établi tel par démonstration, encore que toutes les choses du monde aient eu, par nécessité logique, des commencements d’être dans le temps ;
2o Que la conception d’un être qui aurait toujours existé et toujours pensé à tous les moments supposables, en remontant une chaîne de durées sans commencement, implique contradiction ;
3o Que rien d’infini, en aucun genre sujet au nombre, ne saurait être donné actuellement, mais que l’idée de l’infini en choses numérables est simplement une idée de la possibilité abstraite de compter ;
- ↑ Lucilio Vanini, brûlé en 1619, par arrêt du parlement de Toulouse. Ce passage nous le présente comme dominicain, ce qui n’était pas avéré jusqu’à ce jour. Il prenait habituellement les noms sous lesquels on le désigne ici. (Note de l’éditeur.)