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mais encore tous les actes humains comme déterminés par leurs précédents, et tous les événements écrits d’avance dans nous ne savons quels décrets éternels. En apparence, les écrivains du dix-huitième siècle en France, et Condorcet lui-même, ne furent pas décidément enclins à ce point de vue fataliste : c’est que, préoccupés avant tout de leur lutte contre les traditions d’intolérance, de superstition et de barbarie, obligés de stigmatiser les crimes historiques, ils auraient eu mauvaise grâce à proclamer la nécessité des institutions et des actes dont ils niaient hautement la légitimité morale. Quand il nous arrive de nous indigner contre un grand coupable, et de le condamner en face, allons-nous lui dire, est-ce le moment de penser nous-mêmes qu’après tout il n’a fait que ce qu’il pouvait faire, et que nous voyons en lui un agent rationnellement irréprochable ? Mais perçons la surface des livres, laissons la satire du passé, interrogeons les pures doctrines des auteurs, demandons à ceux-ci, à Voltaire tout le premier, ce qu’ils pensent de la liberté morale de l’homme, s’ils y croient : la pratique et la conscience agissante ont répondu oui ; les théories disent constamment non. Les philosophies, comme les théologies de tous les temps, à de bien rares exceptions près, quoique importantes, ont penché à l’affirmation d’une nécessité universelle. Le dix-huitième siècle a fait comme ses devanciers. Autrement, qu’aurait-