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loppement à la plus haute et à la plus abstraite des contrariétés. Sa conception, à cet égard, semble atteindre la force spéculative des anciens. En identifiant, dans le devenir, l’Être et le non-Être, et tous deux dans l’Idée, et l’idée absolue avec l’Un, le Noûs et le Logos, avec le pur Esprit, agent universel de la théologie scolastique, avec la Substance de Spinoza, amenée à l’unité des attributs, enfin avec l’Esprit humain, et en conduisant l’évolution de l’idée depuis son état indéterminé jusqu’à la manifestation de Dieu dans l’homme, Hegel aurait déployé son génie dialectique pour une œuvre plus imposante si, pour faire entrer de force l’écoulement phénoménal universel dans le moule de la thèse, de l’antithèse et de la synthèse, il avait disposé de quelque autre chose que de mots et d’équivoques. Il est vrai que la méthode réaliste porte essentiellement sur les mots, c’est son caractère propre, mais il ne faut pas qu’elle diminue leur puissance, celle des grandes abstractions, par l’arbitraire des significations et des rapports qu’on en peut tirer. En somme, Hegel a adapté une méthode sophistique à une doctrine qui, dans ce qu’elle enseigne clairement, a trouvé de meilleurs modes d’expression en d’autres temps.

Le mode de rattachement du monde à une abstraction pure, sous différents noms employés pour définir ce qui devrait logiquement rester indéterminé, est l’émanatisme. Le terme d’émanation n’a pas été appliqué aux systèmes du xixe siècle qui portent le caractère formel de l’alexandrinisme, c’est-à-dire qui font descendre par degrés l’univers d’un principe ignorant de ses produits. C’est apparemment parce que ces systèmes ont laissé aux anciens leurs hypostases, et la divinisation des principes émanants, mais alors il ne