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monde (doctrine de la création continuée). Jamais doctrine ne fut mieux préparée, malgré son écart apparent de la tradition, que celle du philosophe qui rejetant tout intermédiaire entre le monde et Dieu, les hypostases et la matière, montra comment l’ensemble des relations ou conditions de l’univers peut se systématiser en se plaçant dans la dépendance immédiate de l’absolu divin. Spinoza fit entrer le monde dans l’Inconditionné, ou, ce qui est la même chose, mit l’Inconditionné dans le monde lui-même.

L’Éthique, il est vrai, ne met pas en saillie le principe absolu qui soutient toutes ses parties. Son exposition cosmo-théologique est surtout celle de l’éternel développement des séries parallèles des modes de la Pensée et des modes de l’Étendue. Ce développement compose la Nature naturée, qui n’est pas l’unité de l’Être en soi et par soi. Mais la Nature naturante, ou Dieu même, qui est la source de l’autre nature, en est logiquement la contradiction. Il faut s’en faire une idée d’après cette remarque (Op. posth., Epist. 29) : que la Substance, source unique des modes, existe réellement, par sa seule définition (c’est la formule achevée du réalisme) ; qu’elle est unique, indivisible et infinie ; que ses modes, c’est-à-dire ses affections, en tant que distinguées d’elle, n’enveloppent point l’existence réelle ; que sa division est donc imaginaire ; que le nombre, le temps et la mesure sont des notions mises par l’entendement au service de l’imagination pour lui permettre de se représenter les modes séparément de la Substance dont ils découlent éternellement. Ainsi ce qu’on entend communément par le réel, c’est l’apparent et l’inadéquat, et les affections de la Substance se traduisent dans le monde en imaginations des hommes.