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atomes répandus à l’infini d’Épicure, et se trouverait partout à la fois pour y suffire :

Quis regere immensi summam, quis habere profundi
Endomanu validas potis est moderanter habenas…
Omnibus inque locis esse omni tempore praesto ?

cette objection, déjà insurmontable, s’aggrave encore démesurément, quand l’actualité du passé et du futur dans le présent s’ajoutent à l’ubiquité dans l’espace sans bornes. L’identité du fini et de l’infini du temps est à sa place dans la doctrine de l’éternité du monde, dont on ne fait par là que formuler la contradiction interne, mais cette identité en Dieu et la personnalité du Créateur sont incompatibles, parce que la mémoire personnelle, si elle n’est pas une illusion, implique la réalité de la loi de succession.

Le réalisme, en bannissant la personnalité de l’origine du monde, exclut du même coup toute possibilité d’une solution morale du problème du mal. Ce problème a été la source des grandes religions, et il a bien fallu qu’il fût pour la philosophie un sujet de préoccupation profonde, quoique souvent latente. Lorsque l’existence du mal n’est point opposée par le penseur à l’idée d’un ordre supérieur de justice institué divinement, auquel auraient forfait les êtres, elle se passe d’explication. Le mal apparaît comme le fait d’une nature irresponsable, ou la suite des passions des hommes. Mais dès que la question se pose d’apprécier l’univers en tant qu’ordre moral, le philosophe ne saurait se soustraire à la tâche d’en justifier le plan, s’il est possible. Le dualisme offre des moyens plausibles d’y parvenir, et qui semblent aussi les plus logiques, parce que la part y est faite au mal, qu’on ne voit pas comment éliminer de l’ordre des