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Le néant de la personne au regard de l’ensemble et des principes de l’existence est le néant de la vie en tant qu’appelée à prendre conscience d’elle-même ; car les apparitions et les relations passagères des êtres conscients ayant pour fin la mort chez chaque individu, chacune de ces existences mortelles est un néant de vie comparativement au temps éternel pendant lequel l’individu n’a pas vécu, et au temps éternel pendant lequel il ne vivra plus. Le génie de Lucrèce anticipant sur les arguments que peut nous fournir aujourd’hui la méthode infinitésimale avait déjà démontré que la durée de vie échéant à chacun, soit qu’elle commence plus tôt ou plus tard et se prolonge plus ou moins, est toujours, comparée à sa mort, qui est éternelle, une quantité nulle :

Nec prorsum, vitam ducendo, demimus hilum
Tempore de mortis, nec delibrare valemus
Quo minus esse din possimus morte peremti.
Proinde licet quoi vis vivendo condere saecla
Mors aeterna tamen nihilominus illa manebit.
Nec minus ille diu jam non erit ex hodierno
Lumine qui finem vitaï fecit, et ille
Mensibus atque annis qui multis occidit ante.

Cette doctrine épicurienne de la mort ne voue pas à la mort éternelle l’individu séparé seulement, mais elle nie la personnalité au sens universel, en ne la rendant nulle part permanente, adéquate à la durée. La personnalité partout produite et détruite, multiplié sans fin, sans rapport aucun avec le monde intégral, n’aurait jamais qu’une valeur d’accident pour l’œuvre des atomes impérissables, mais sans vie. La mort universelle est donc le corollaire de la mortalité de toute conscience. Ôtée la conscience cependant, rien