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de ce qu’elle a été antérieurement, et en préparation de ce qu’elle sera en ses effets dans la suite des temps. Ôtée notre ignorance, le mot possible n’a plus de sens ; il n’y a que du réel, quoique distribué pour notre imagination en des rapports de temps. Le temps supprimé, la puissance et l’actualité cessent d’être distinctes.

Les philosophes déterministes modernes ont souvent témoigné de la répugnance à accepter les mots nécessité, fatalité, — surtout ce dernier, — comme des termes exactement applicables à l’enchaînement invariable. Les anciens étaient plus profonds, ou plus sincères. Si le déterminisme est le prédéterminisme, il faut bien que le déterminé soit l’éternellement certain et le nécessaire, et que le nécessaire soit le fatal. Il a toujours été entendu que le mot fatal signifie ce dont le musulman dit, dans la surprise d’un événement : C’était écrit ! Or le prédéterminisme est la formule abstraite de l’application de cette exclamation à tout événement. Le présent est la valeur que prend le passé dans le devenir, en vertu de l’équation du monde. Cette équation, pour le prédéterminisme divin, tel que le définit la doctrine de Leibniz, est la pensée éternelle du Créateur au sujet du monde. Elle est, pour le prédéterminisme athée, le destin que nul ne connaît, n’a connu, n’a jamais pu connaître, et qui existe pourtant. C’est alors un mystère plus impénétrable que ceux de toutes les religions mises ensemble.

Le penseur déterministe n’a que rarement cette forte idée, qu’a eue Spinoza, du monde qu’il a appelé Dieu ; mais il a presque toujours le sentiment de l’unité et du tout, et ce sentiment le force de chercher à se faire une idée de quelque chose qui serait la raison d’être, ou l’enveloppe ou le support de ce monde, puisque, de cause externe, il ne peut être question pour le tout être. Aris-