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peine d’apercevoir le vrai sens et la portée des arguments de l’Éléate, qu’ils prirent le parti de traiter de sophismes, on peut juger par là des progrès accomplis dans la science de l’esprit, entre l’âge de Zénon et celui de Berkeley, de Leibniz et de Malebranche.

Les arguments de Zénon ont gardé toute leur valeur, pourvu qu’on les comprenne comme démontrant l’impossibilité logique d’admettre l’existence d’un sujet matériel en soi, ayant des parties en soi, qui seraient franchies par un mobile dans l’intervalle linéaire de deux points entre lesquels ces parties seraient multipliées sans fin. La définition de la quantité géométrique abstraite, dont une partie, quelque petite qu’elle soit, est conçue comme divisible en d’autres parties qui sont divisibles de même, et cela sans fin, pose une loi des possibles pour l’entendement, non un jugement pour la détermination d’un sujet. L’impossibilité ressort immédiatement du principal argument de Zénon, car il consiste, au fond, à remarquer que la bissection d’une ligne, et de sa moitié, et de la moitié de sa moitié, etc., est une opération qui, ne pouvant se terminer en son concept, ne peut fournir le concept d’une ligne dans laquelle elle serait d’avance réalisée par l’existence intrinsèque de toutes les parties d’une telle division. Il y a contradiction. Traduisons la suite des parties en une suite de mouvements partiels pour le parcours de la ligne, on dira par la même raison, avec Zénon : le mouvement ne peut se terminer, le mobile n’aura jamais fini de traverser des parties sans fin. Ce jamais, nous l’avons remarqué plus haut, s’applique au temps comme à l’espace, parce qu’il s’applique au nombre qui les embrasse tous deux dans la division du continu. Les préventions de la critique, en premier