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LA FILLE DE L’ÎLE ROUGE

Les enfants et le vieux, sur le pas de la porte, continuaient à regarder le vazâha.

— Demande à ton grand-père, Zane, s’il regrette le temps passé, quand il pagayait sur l’Ikioupe dans sa pirogue toute neuve.

Elle échangea quelques mots avec le vieillard.

— Il dit qu’il ne se souvient plus du temps où sa pirogue était neuve… Il dit que ce qui est passé est passé…

— Mais aimait-il son métier ?

— Il dit que le travail était dur par les grandes eaux, et que pendant la saison sèche on souffrait du froid sur la rivière.

— Va-t-il quelquefois sur l’Ikioupe pour voir les jeunes piroguiers ?

— À quoi bon ? Il ne pourrait plus pagayer. Il dit qu’il se sent mou comme une feuille de saonje cuite, et que l’Œil-du-Jour l’éblouit, quand il brille sur la rivière…

Ils entrèrent dans la chambre du nord, la plus somptueuse de la case. Tapissée en papier gris à fleurs rouges, grand luxe chez les Malgaches, elle avait un vrai plancher et un plafond peint en rose. À l’est, à la place rituelle, un vieux lit en bois patiné par le temps, seul meuble curieux de la pièce ; des images sculptées en relief en ornaient le bateau : soldats avec uniforme français de la première République, tirant, ou croisant la baïonnette ; au milieu, assise sur une sorte d’estrade, une femme à coiffure volumineuse tenant un parasol, sans doute la reine, recevait des mains d’une autre femme un rouleau de papier ; deux zébus, têtes baissées,