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LA FILLE DE L’ÎLE ROUGE

honneur, et s’inclinait profondément devant l’étranger, les mains étendues vers la terre dans une attitude servile.

— C’est lui qui a été piroguier sur l’Ikioupe ?

— Oui. Et la très vieille, là-bas, assise contre la case, c’est ma grand’mère.

Elle était accroupie au soleil, toute recroquevillée, frileusement enveloppée dans des haillons bruns, jadis blancs ; on ne voyait d’elle que sa tête fripée par le temps. Depuis longtemps elle ne tressait plus en fines nattes ses cheveux d’un gris sale, à demi dénoués autour de sa tête branlante. Elle regardait fixement l’Européen, indifférente en apparence à la venue de sa petite fille. Et c’était toute la protestation d’une race foulée qui éclatait dans son regard mauvais et dur, tandis que les autres, flattant le vazâha, éteignaient les rancunes dans des sourires.

Claude, gêné par la fixité de la vieille, malgré lui la regardait aussi. Mais Zane prit sa main, et ils allèrent, tels deux mariés de village, vers la case de l’oncle et de la tante. Bêches, battées et corbeilles encombraient l’entrée, et dans un coin une couple de pagaies disparaissait presque sous les toiles d’araignée et la poussière.

— Ce sont les pagaies du grand-père, dit Zane en les montrant. Jamais il n’a consenti à ce qu’on en fasse des manches de bêche.

— Et sa pirogue, qu’est-elle devenue ?

— Elle n’existe plus depuis longtemps. Elle était toute pourrie, on en arrachait les morceaux comme la peau d’une mangue trop mûre. Il y a des années déjà qu’on l’a brûlée.