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LA FILLE DE L’ÎLE ROUGE

nant accès à une porte barbare. Deux dalles de granit, hautes de quatre a cinq mètres, légèrement inclinées l’une vers l’autre, laissaient entre elles le passage d’un homme. Un couloir étroit, avec de larges dalles plantées de distance à distance et reliées par des murs en pierres sèches, s’ouvrait à l’intérieur. Entre la porte et Le couloir, un énorme disque de gneiss, de plus de deux mètres de diamètre, était appuyé encore contre le rempart démantelé. On le roulait jadis, à force de bras et de leviers, pour fermer l’ouverture, au coucher du soleil, quand les bœufs et les hommes étaient rentrés des rizières. Claude, descendu de filanzane, contemplait ces ruines cyclopéennes et le disque de pierre, tout gris de vétusté, étoilé de lichens jaunâtres, qu’aucune force humaine ne roulerait plus jamais à sa place accoutumée ; il se dressait, tragiquement inutile, près d’une porte où personne ne passait, car le sentier actuel contournait l’antique défense. Mais l’Européen, en face de cette fruste architecture, pensait aux générations disparues ; il se sentait transporté, loin de toute civilisation, dans les âges barbares, pourtant si proches de nous, où dix hommes ne suffisaient pas à fermer une porte de village. Il évoquait les Imériniens bronzés, au buste nu, avec d’étranges chevelures tressées où brillaient des coquillages blancs et des amulettes ornées de perles, les guerriers armés de sagaies et de boucliers ronds en peau de bœuf.

Soudain un vieillard et un enfant, minables, enveloppés dans des lambas crasseux, surgirent,