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LA FILLE DE L’ÎLE ROUGE

l’Ikioupe aujourd’hui. Ce n’est pas bon signe quand ils volent si tard.

— Pourquoi donc, petite superstitieuse ?

— Les grands loules, les méchants Esprits de la rivière, ne sont pas loin ; ce sont eux qui envoient les petits loules d’eau…

Elle eut un mouvement d’effroi : la barque, prise dans un remous, avait presque tourné sur elle-même, et le piroguier, à grand peine l’avait redressée.

— Oh ! J’ai peur, Raclaude. Il y a tant de loules ! Je suis sûre qu’ils nous suivent ; ils veulent nous faire chavirer…

Claude haussa les épaules.

— Je t’en prie, Zane, ne t’effraie pas de ces sottes histoires. Tes loules n’existent que dans l’imagination des vieilles femmes.

— Ne dis pas cela ! S’ils t’entendaient ! Ne dis pas qu’ils n’existent point ! Mon grand-père, le piroguier de Farantsahane, les a vus souvent.

— Comment sont-ils ?

— Gros comme le poing, avec des tentacules toutes rouges, ils s’attachent aux noyés, plongent leurs tentacules dans le nez, la bouche et les oreilles, pour tirer le sang… Quand tout le sang est sucé, ils laissent surnager les corps… Ces corps n’ont plus de sang du tout… Leur peau est gluante comme si on l’avait frottée avec de la graisse. On a beau être fort, on ne résiste pas au loule, les bœufs mêmes sont entraînés. Une année, au-dessous de Farantsahne, les loules ont noyé sept personnes, tandis que les