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LA FILLE DE L’ÎLE ROUGE

fleuve, elle incarnait le moment et le lieu.

Cette attirance de la femme exotique, en tant qu’expression d’une race et d’une nature pour l’européen exilé loin de sa terre, Claude comprit en cette minute qu’il l’avait subie et continuerait de l’éprouver jusqu’au jour où il s’embarquerait à bord d’un paquebot pour revoir la France. Il s’évoqua lui-même sur le pont du Melbourne, dont la proue cette fois serait tournée vers les terres boréales ; autour de lui sonneraient des voix françaises, Madagascar n’apparaîtrait plus à l’horizon que comme une ligne indécise dans la brume du soir levée sur la mer. Alors aussi s’effacerait lentement, dans son cerveau, l’image de la petite épouse malgache. Claude eut cette intuition et presque aussitôt la regretta. Préférant s’endormir dans son rêve actuel et voluptueux, il contempla Zane ; tournée à demi de son côté, elle lui souriait…

La rivière devenait plus large, ses remparts de terre, en partie éboulés, lui faisaient des grèves tout humides encore des crues récentes. Çà et là des îlots de sable dressaient leurs bords abrupts au milieu du courant : tous les jours ils perdaient quelques parcelles, avant de disparaître pour aller former des plages rougeâtres dans la plaine Sakalave, au pied des berges de la Bétsibouke, hantée des caïmans. Le cours du fleuve, de plus en plus sinueux, contournait des promontoires, s’élargissait de nouveau, puis se resserrait presque en torrent pour percer des seuils de gneiss. À l’opposé de Tananarive, deux