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LA FILLE DE L’ÎLE ROUGE

leur profondeur. Seuls les piroguiers, à certains signes, pouvaient connaître les bancs de limon cachés sous la nappe rouge, et les chenaux praticables où les pirogues ne risquent pas de s’enliser. L’ingénieur songeait à un autre danger qui menaçait, par delà les digues, la plaine nourricière : l’écoulement des eaux vers le fleuve surélevé se faisait de jour en jour plus difficile ; bientôt les rizières stagnantes redeviendraient marais. Déjà on abandonnait les cultures presque partout au pied même des levées de terre, jadis protectrices ; les roseaux et les joncs reprenaient possession de leur ancien domaine.

Claude rêvait d’un vaste projet : il dénoncerait le péril, publierait des articles, intéresserait à l’œuvre l’administration de la colonie, proposerait à sa Compagnie de réaliser l’aménagement de l’Ikioupe : on creuserait le lit de la rivière, près de Tananarive, pour le ramener au niveau normal, au-dessous de la plaine ; plus loin, on draguerait de façon à ménager un chenal praticable par les plus basses eaux ; on ferait sauter ou on abaisserait les seuils rocheux de Farantsahane. En échange de ces travaux coûteux, on demanderait à la Colonie le monopole de la navigation ; de légères chaloupes à vapeur feraient un service quotidien, en remorquant des trains de pirogues couplées ou de chalands ; on drainerait ainsi tout le commerce de cette riche région.

Dans sa fragile pirogue, Saldagne, roi de l’Ikioupe, brassait en pensée d’énormes affaires,