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LA FILLE DE L’ÎLE ROUGE

exhausse son lit, pendant que les hommes, à mesure, surélèvent les digues. Maintenant, en été, l’Ikioupe roule bien au-dessus de la plaine ses flots gonflés, use et ronge le rempart qui l’empêche de s’épandre. Au temps malgache, c’était une grosse préoccupation. Une fois le désastre se produisit. Après dix journées de pluies diluviennes, le fleuve, une nuit, emporta l’obstacle : par la brèche vite agrandie il s’étendit sur les cultures, noya les rizières déjà jaunissantes, fondit les cases de boue, rendit aux marécages les toits de roseaux, et recouvrit de sable rouge infertile toute la bonne terre. Beaucoup de rizières furent perdues pour plusieurs générations d’hommes, et, d’un soir à un matin, de nombreuses familles devinrent misérables. Depuis, aux époques des crues, le peuple veillait ; quand l’Ikioupe rongeait, par endroits, ses barrières, quand des morceaux de digues s’effondraient dans le courant, les conques meuglaient par la ville et les campagnes leur appel lugubre, et tous, vieillards, femmes et enfante, esclaves ou hommes libres, couraient, portant des corbeilles de pierres, pour défendre la terre et le riz. Les gens d’âge mûr se souviennent encore d’alertes de ce genre ; ils en ont gardé la hantise et l’épouvante.

Claude, se rappelant de tels récits, contemplait le fleuve sournois où sommeillait tant de force latente. Ces eaux traîtresses, uniformément rougeâtres, et couvertes d’écume baveuse, couraient vite, comme avec la hâte de s’échapper de leurs barrières. Nulle part on ne devinait