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LA FILLE DE L’ÎLE ROUGE

Le départ fut sans beauté, dans un paysage morne et sale. Le riz venait d’être récolté : dans la lumière crue d’un matin ensoleillé, les boues rougeâtres se hérissaient de tiges coupées, trouant çà et là les moires de l’eau souillée. De misérables cases en terre sèche, pétries à même le sol, abritaient les générations lacustres des piroguiers ; alentour, d’innombrables cochons noirs se vautraient dans la fange, et fouillaient fraternellement avec les canards les vases pleines de détritus.

La pirogue, sous l’impulsion de l’unique pagayeur debout à l’arrière, glissait sans bruit sur les eaux troubles. L’Ikioupe coulait presque à pleins bords entre des digues irrégulières, d’un vert sale. De temps en temps apparaissaient, par delà les levées de terre, de lointaine sommets de collines, couronnés de villages ou de hameaux. Du paysage proche on ne voyait rien.

Saldagne examinait avec une curiosité d’ingénieur cette rivière endiguée, dont le lit, peu à peu, s’exhausse au-dessus des plaines voisines. Il en oubliait la petite Malgache assise devant lui ; parfois elle tournait la tête en souriant, se dépitait d’être négligée ; mais Claude, tout à son métier pour un instant, songeait à des travaux d’aménagement de l’Ikioupe. Du jour où les rois barbares, créateurs des rizières, avaient endigué ce fleuve limoneux, ils avaient préparé le danger, de plus en plus menaçant depuis deux générations. La rivière torrentueuse, en déposant au sortir des montagnes la terre rouge,