Page:Renel - La fille de l'Île-Rouge, roman d'amours malgaches, 1924.djvu/68

Cette page a été validée par deux contributeurs.
66
LA FILLE DE L’ÎLE ROUGE

nance exprimait douloureusement la mort de l’astre.

— Ou bien, ajouta Desroches, qui s’en voulait à lui-même d’avoir été un instant ému, votre dissonnance résulte de l’habitude qu’ont les Malgaches de chanter d’une voix nasillarde, un peu instable. Ce n’est pas un effet, c’est une imperfection. »

On entendit encore de la musique. Mais le répertoire de la troupe engagée par Claude fut vite épuisé. Il fallut subir des airs néo-malgaches inspirés par les scies à la mode en Europe quelques années plus tôt. Saldagne songea que Zane et ses amies devaient connaître de vieux refrains. Quelquefois il avait surpris sa petite amie en train de chanter, mais elle s’interrompait aussitôt, comme honteuse de ces pauvres survivances de l’époque où les Français n’étaient pas encore à Madagascar. Chez ce peuple ennemi de toute chronologie, qui ne connaît ni la valeur ni la durée du temps, ignore l’âge exact des hommes et l’ancienneté des événements, on exprime le passé lointain par cette formule naïve : au temps où les étrangers n’étaient pas là. Cela représente une quinzaine d’années, mais c’est si long, quinze ans, pour l’esprit puéril d’un demi civilisé ; c’est déjà quelque chose de presque irréel, comme chez nous le temps où les bêtes parlaient. Cosquant avait eu la même idée que Claude.

— Dites donc, Saldagne ! Demandez à votre Zane de nous chanter quelque chant des ancêtres, elle en sait certainement.