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LA FILLE DE L’ÎLE ROUGE

ment un point d’orgue… Manière naïve pour des musiciens primitifs d’exprimer l’inexprimable…

— C’était presque un chant sacré, dit Berlier. Les femmes le chantaient soir et matin, à l’intérieur du Palais-du-Règne-tranquille, pour le lever et le coucher de l’Enfant royal, soleil terrestre des Imériniens.

— Maintenant le Rouve, la vieille enceinte, découronnée de sa palissade barbare hérissée de sagaies, est vide de rois, et le chant qui berçait l’enfance des Andrianes a perdu tout sens pour leurs descendants dégénérés.

— Détrompez-vous ! Si vous entendes jamais jouer cet air dans une fête, devant une foule malgache, regardez ! Vous verrez les vieux hommes bronzés à cheveux plats, les vrais Imériniens, frémir d’un enthousiasme contenu, et dans leurs yeux nostalgiques, briller l’orgueil des splendeurs passées de la Race !

— La Race ! interrompit Cosquant. Vous avez toujours ce mot à la bouche. J’ai vu, moi aussi, des races dans d’autres colonies. J’ai vu, dans leurs sables stériles, les Somalis aux lèvres minces, aux yeux cruels enfoncés dans les orbites comme des charbons à demi éteints qui couvent sous la cendre, les Somalis à la poitrine étroite, au corps dégingandé, aux longues jambes nerveuses, faits pour la marche et la course dans le désert. J’ai vu dans ses vertes rizières, le peuple innombrable des Annamites, aux yeux bridés et menteurs, faux comme l’eau dormante, les Annamites au corps grêle, efféminés par une