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LA FILLE DE L’ÎLE ROUGE

vengeurs dans la direction des musiciens ahuris, en leur hurlant des insultes en malgache. Zane, s’approchant d’eux, dit quelques mots à voix basse. Ils se concertèrent un moment, puis, sans trop hésiter, entamèrent un air d’autrefois ; c’était une mélodie mélancolique et lointaine, brisée au début par une syncope, et prolongée à la fin en un interminable point d’orgue ; sorte de rêverie naïve psalmodiée d’une voix nasillarde par la plus vieille des trois chanteuses, puis les jeunes interrompaient en un chœur alerte, presque joyeux, accompagné de battements de mains. Les Imériniennes, intéressées par l’air ancien qui leur rappelait les jours heureux de leur enfance, battaient des mains, elles aussi, fredonnaient en sourdine les paroles bien connues. Un courant sympathique s’établissait entre les deux groupes malgaches, à chaque extrémité de la varangue, entre ceux de la caste noire, pieds nus, en lambas de coton, payés par les Blancs pour chanter, et celles de la caste libre ou noble, esclaves aussi des Européens par la servitude de leur chair. Claude, conscient de cette entente télépathique, se sentit en cette minute plus éloigné de Zane que le vieil indigène qui soufflait dans sa flûte, la bouche tordue, en dodelinant de la tête.

Cependant le solo mélodique reprenait, puis le chœur interrompait de nouveau, en répétant, sur un ton plus alerte, sans syncope ou point d’orgue, le chant mélancolique. Les valîh vibraient de toutes leurs fibres, la flûte criait sa plainte, les trois chanteuses martelaient les pa-