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LA FILLE DE L’ÎLE ROUGE

qu’il venait d’acheter. Elle se tenait toute droite au milieu de la pièce, immobile et comme honteuse ; les plis harmonieux du lamba mettaient une grâce fière autour du jeune corps ; elle regardait fixement dans un coin, sans paraître voir son nouveau mari, mais le sourire espiègle de ses yeux démentait son air indifférent. Claude s’approchant ôta d’abord le lamba de soie blanche, avec l’hésitation de l’artiste qui dévoile une maquette ébauchée la veille ; il ne fut point déçu ; sous la longue tunique en soie jaune le buste se devinait rond et ferme ; tout de suite le désir de Claude effleura les jeunes seins, nus sous la mince étoffe. La gorge et les épaules de bronze clair, sous l’ajourement des broderies, lui apparaissaient colorées de tons chauds, presque orangés, et le contraste de cette chair avec la sienne semblait étrange. Toujours il garda cette première impression ; la vue de la peau brune, aux teintes cuivrées, exaltait ses désirs ; il croyait s’échapper des entraves de sa propre race, et son orgueil de mâle s’y complaisait. Les femmes blanches auraient désormais à ses yeux moins de charme qu’autrefois et il ne pourrait s’empêcher de les trouver banales. La peau de Razane, que n’avait jamais flétrie aucun fard, était douce et satinés, ses lèvres attiraient les baisers, les bizarres lèvres mauves, sensuelles sans être grosses, pâles auprès des dents blanches, et si fraîches. Depuis le premier jour, il avait poursuivi, presque inconsciemment, la chimère de l’aimer et d’être aimé d’elle selon la conception héréditaire des poètes