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LA FILLE DE L’ÎLE ROUGE

bien portant. Aucune pensée morose ou obsédante n’habitait sous son front. Quand elle réfléchissait à autre chose qu’au présent, c’étaient toujours des images malgaches qui hantaient son cerveau. Rarement elle élevait ses désirs au delà de ceux de sa race, elle gardait près de l’Étranger les impressions héréditaires de ses aïeules Imériniennes, la soumission heureuse à l’homme, au maître qui possède les biens et dispose de la chair des femmes, la quiétude du lendemain assuré, tant qu’on est jeune et jolie, l’indifférence pour un avenir qu’on ne saurait changer, la paresse native développée sous le ciel bleu par une vie trop facile.

L’Imérinienne est paresseuse, sensuelle et conservatrice ; gardienne des traditions, elle retient dans son cerveau obstiné les paroles, les gestes et les mœurs des anciens. Elle craint les nouveautés. Si elle va dans la maison d’un Européen, elle y apporte ses habitudes de penser et d’agir, qu’elle sait imposer, à force de douceur, au maître de son corps. Elle tient l’homme, noir ou blanc, par la joie de sa chair ; car elle n’est pas l’esclave indifférente qui se prête ou se loue au passant, mais la femme heureuse qui se donne avec toute l’ardeur des désirs, toute la fougue des sens, et, dans la plénitude de la possession, veut un bonheur partagé. Claude n’avait pas su résister à la douceur léthargique des caresses, des rires d’enfants, à l’ivresse des abandons passionnés. Jamais Razane ne lui disait non, elle se prêtait à ses caprices les plus inattendus, à ses plus bizarres