Page:Renel - La fille de l'Île-Rouge, roman d'amours malgaches, 1924.djvu/40

Cette page a été validée par deux contributeurs.
38
LA FILLE DE L’ÎLE ROUGE

il avait peine à se ressaisir ; les fantômes du passé rôdaient autour de lui, comme ces grands papillons noirs qui volètent dans les maisons à Tananarive, effroi des Malgaches : âmes des anciens habitants, ils frôlent de leurs ailes endeuillées la face des vivants, leur apportant un peu de l’inexprimable horreur des tombeaux.

— Zane, je suis fatigué… J’ai peur d’avoir la fièvre ce soir…

Elle ne dit pas une parole, mais, se levant, elle alla chercher une chaise, revint s’asseoir. Elle lui prit la main, appuya sa joue fraîche sur l’épaule du maître, resta ainsi sans parler, sans bouger, comme un animal familier et fidèle. La douceur de ce contact caressant le pénétra d’une langueur heureuse. Longtemps, ils demeurèrent ainsi, muets tous deux ; il lui semblait qu’un mystérieux échange établissait une sorte d’équilibre entre leurs deux existences ; de nouveau, il connut la joie de vivre le beau soir austral, avec l’enchantement de la lune déjà haute dans le ciel au-dessus de leurs têtes, parmi les senteurs fortes des lilas de Perse et des daturas. Guéri de sa fièvre, de ses tristesses, il attira plus près de lui l’Imérinienne, et leurs souffles se confondirent…



Des lumières s’agitaient sous la varangue. Les domestiques indigènes, pieds nus, s’empressaient silencieusement. On apporta la table dressée. Tous deux s’installèrent pour dîner,