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LA FILLE DE L’ÎLE ROUGE

reconvoler. Et ce qui a plus surpris encore, c’est que cette jeune femme élégante et si parisienne a épousé un magistrat de province, ni jeune, ni séduisant, qui, paraît-il, s’habille très mal. On ne lui a trouvé qu’une excuse : son mari a la grosse galette… »

Il prit le paquet de lettres et de papiers, sans plus rien lire, et s’en alla, au hasard, dans la ville. Il n’était pas étonné de se trouver à Marseille, aucun détail de la vie européenne, bruyante et agitée, ne le surprenait. Très naturellement il rattachait à toute son existence d’autrefois les jours qu’il allait commencer de vivre… Hier seulement il avait écrit la lettre d’adieu à son amie ; aujourd’hui il en était triste à mourir, et tout était fini, irrémédiablement. Les impressions de Madagascar lui revenaient par instants, comme irréelles : la ville rouge au-dessus des rizières, le peuple blanc des Imériniens, la case avec les étranges et sveltes colonnes de pierre sous la varangue, les soirs emplis du parfum des daturas, et la petite épouse des nuits australes, la femme d’une autre race, qui suivait les coutumes d’autres ancêtres, les baisers maladroits, les talismans d’amour, l’étrange peau orangée, si fraîche, la vision barbare du sacrifice à Andriantsimandâfik, la mort de Berlier… Mais toutes ces choses lui paraissaient si lointaines déjà qu’il se figurait presque n’y avoir pas assisté, ou bien il lui semblait les avoir lues en quelque livre…

Il s’assit, douloureux et brisé, à la terrasse d’un café, sur la Canebière. Il réfléchit, s’éva-