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LA FILLE DE L’ÎLE ROUGE

eaux plombées les fumées du « Natal » traînaient, pareilles à des nuages plus bas et plus noirs. La « Ville-d’Alger », sombre comme un charbonnier, s’harmonisait avec la tristesse des choses. Au bout du wharf se dressait l’armature pesante de deux énormes grues levant leurs bras inutiles sur les eaux peuplées de requins. La pointe Tanio, estompée dans les vapeurs marines, s’étendait sur la mer glauque, comme une presqu’île d’Armor. Les goélettes, si blanches ce matin, paraissaient sales, Claude songea soudain aux Islandais de Paimpol…

Voici que son cerveau d’hyperboréen évoquait déjà, sur les chaudes grèves de l’océan austral, les tristes mers cimmériennes, les mers de la brume et du froid. Quand les poètes les ont chantées, c’est pour dire leur inclémence, leurs colères sauvages, les nuits de tempête, et les voix lugubres qu’ont leurs vagues en montant à l’assaut des rivages. Ces mers-là donnent la nostalgie des ports profonds cachés dans les recoins de côte, du retour heureux vers les villes grises aux épaisses maisons chaudes ; tandis que les mers tropicales, les jours ordinaires, font rêver à de perpétuels départs vers des îles toujours plus lumineuses, toujours plus heureuses sous les baisers brûlants du soleil.

Claude eût souhaité que le paysage malgache fût moins mélancolique le jour de son départ. Puisqu’il s’en allait volontairement, rappelé par les voix ancestrales qui parlaient en lui, il se figurait n’avoir plus rien à craindre de la magie des Tropiques, et il eût voulu voir une