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LA FILLE DE L’ÎLE ROUGE

palais de corail par les squales voraces. Puis se creusaient les grands fonds ; tout près de la côte, la sonde plonge dans des abîmes d’où émergeraient à peine les plus hautes cimes du globe, entre la rude table du plateau malgache, seul témoin d’un continent disparu, et les montagnes chaotiques de l’Asie, toit du monde. Il se représentait le Tamatave d’autrefois : ni digue, ni route, ni villas au bord de la mer, ni hôtel, ni lumières ; quelquefois les feux d’un vaisseau de guerre, hors rade, loin des récifs ; le long de la côte, basse et marécageuse, des vakouas et des badamiers, avec quelques misérables cases en roseaux ; sur la grève, des piquets noirs, où blanchissaient, fichés comme les têtes de bœufs sur les poteaux des sacrifices dans les villages Bétsimisarâk, les crânes de matelots français tués. Cette lugubre évocation d’un Tamatave fiévreux, désolé et barbare lui faisait trouver plus riantes et plus douces les visions récentes de la journée.

Pendant la nuit, le temps changea ; le baromètre baissa soudain ; l’air devint lourd. Un cyclone sans doute passait dans les parages de la Réunion ou de Maurice. Des coups de vent brusques secouaient les arbres dans le jardin, et de son lit Saldagne entendait les vagues se briser avec fracas contre les enrochements au pied de la digue. Au matin, le calme était revenu, mais le ciel, encore couvert, ne laissait rayonner qu’une lumière tamisée et douce. Sur la mer d’opale, presque sans vagues, la ligne blanche de la barre marquait juste l’affleure-